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Etats-Unis : l'accès à la pilule abortive en jeu lors d'une audience devant la Cour suprême

Actuellement, la mifépristone est utilisée dans près de deux tiers des interruptions volontaires de grossesse (IVG) aux Etats-Unis. [Anna Moneymaker / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP]

Le droit à l'avortement est à nouveau devant la Cour suprême américaine, ce mardi 26 mars. Ses juges doivent se prononcer sur une potentielle restriction de l'accès à une pilule abortive, la mifépristone.

Moins de deux ans après avoir annulé l'arrêt Roe v. Wade, qui garantissait le droit fédéral à l'avortement aux Etats-Unis, la Cour suprême américaine se penche sur le sort de la pilule abortive. Ce mardi 26 mars, la Haute Cour pourrait choisir de restreindre l'accès à la mifépristone, ce qui constituerait une décision sans précédent.

Cela reviendrait à remettre en cause l'autorité scientifique de l'agence américaine des médicaments (FDA) de façon inédite, puisque c'est elle qui a autorisé la mifépristone en 2000. Actuellement, cette pilule abortive est utilisée dans près de deux tiers des interruptions volontaires de grossesse (IVG) aux Etats-Unis.

En 2016, la FDA a décidé d'étendre son accès, d'abord en permettant de la prescrire jusqu'à 10 semaines de grossesse, contre sept auparavant, mais aussi en autorisant les professionnels de santé n'étant pas médecins, comme les infirmières, à la délivrer. Par ailleurs, une seule consultation est désormais nécessaire, au lieu de trois avant 2016.

Quelques années plus tard, avec la pandémie de Covid-19, l'agence américaine du médicament a aussi autorisé l'envoi des pilules abortives par la poste, après une téléconsultation.

Or, l'année dernière, une cour d'appel saisie par des médecins anti-avortement a ordonné de rétablir l'accès à la mifépristone tel qu'il était avant 2016. C'est sur ce point que la Cour suprême doit se pencher à partir de ce mardi 26 mars.

Si elle décide de remettre en cause l'expertise de la FDA, cela pourrait avoir des conséquences bien au-delà de la mifépristone. «On pourrait voir arriver des contentieux infondés contre toutes sortes de médicaments utilisés depuis des années, simplement parce qu'une organisation y est opposée», a alerté Liz Borkowski, experte en santé publique à l'université George Washington. L'industrie pharmaceutique s'est d'ailleurs vivement opposée à toute intervention de la justice sur l'accès à la pilule abortive.

une remise en cause jugée «inappropriée»

L'agence américaine des médicaments s'est vu confier le pouvoir de déterminer l'efficacité et la sûreté des médicaments par le Congrès américain. Elle fait régulièrement appel à des experts indépendants, ses procédés sont très encadrés et ses décisions font souvent référence dans le monde. Aussi, le fait «qu'un juge remette en cause la conclusion d'experts de la FDA» serait non seulement «inapproprié» mais «sans précédent», a souligné Liz Borkowski.

La justice a déjà remis en cause certaines décisions de la FDA, mais cela ne concernait que l'interprétation de brevets. Lewis Grossman, un avocat ayant rédigé des arguments écrits versés au dossier devant la Cour suprême, est catégorique : il n'est jamais arrivé que des restrictions sur l'accès à un médicament soient imposées «à cause d'un désaccord avec les experts scientifiques». «Interpréter la science n'est pas du ressort de la justice, a insisté l'avocat.

Pour justifier leur démarche, les anti-avortement arguent que la FDA aurait dû, en 2016, mener une étude regroupant tous les changements décidés, afin de les étudier ensemble. Mais Lewis Grossman assure que cette exigence est «inventée par les plaignants» et ne correspond pas à «la façon dont l'agence travaille habituellement».

Liz Borkowski ajoute qu'il existe «des décennies de preuves sur l'efficacité et la sûreté de la mifépristone». Si cette pilule «ne peut pas rester sur le marché telle quelle, avec ces montagnes de preuves, alors aucun médicament n'est sûr», a affirmé l'experte en santé publique.

L'innovation menacée

Dans des arguments également versés au dossier, des dizaines de patrons de groupes pharmaceutiques ont prévenu qu'une confirmation de la décision de la cour d'appel entraînerait «un niveau intolérable d'incertitude sur le processus d'autorisation des médicaments». Confrontées au risque judiciaire, les entreprises pourraient être moins enclines à innover, ce qui «affaiblirait le développement de traitements et les investissements», ont-ils plaidé.

Plus largement, toutes les décisions prises par l'administration pourraient être menacées et, dans ces conditions, on pourrait même imaginer qu'un laboratoire attaque un concurrent en justice pour garder le monopole sur le traitement d'une maladie, alertent les experts. Une perspective inquiétante qui, selon Liz Borkowski, pourrait mener à un «problème de santé publique majeur».

Comme le rappelle le Washington Post, le président américain, Joe Biden, s'est engagé à défendre l'accès à la mifépristone à plusieurs reprises. Si la Cour suprême autorise le maintien de la réglementation actuelle concernant cette pilule abortive, la Maison Blanche pourra donc revendiquer une victoire juridique.

La décision inverse sera inévitablement utilisée par les démocrates pour mobiliser les électeurs mais, d'après un sondage Washington Post-ABC News réalisé en mai 2023, deux tiers des Américains estiment que la mifépristone devrait rester sur le marché.

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